LA VOIX DANS LES ARTS PLASTIQUES:
SUR QUELQUES EXEMPLES CONTEMPORAINS
Texte intégral dans: Voix et création au XXe siècle. Actes du Colloque de Montpellier 26, 27, et 28 janvier 1995. Textes réunis par Michel Collomb. Honoré Champion Éditeur, Paris 1997. Diffusion hors France: Éditions Slatkine, Genève.
Introduction
Les arts plastiques ont à faire par définition avec des choses qu‘on peut toucher, traiter avec les mains, les pinceaux, les marteaux. Il en sort des objets palpables.
La voix est au contraire un phénomène éphémère qui se développe dans le temps, et elle appartient donc à l‘autre famille des beaux-arts : les arts du temps. Mais elle a aussi un côté plastique, matériel et physique, et ce sont surtout ces aspects qui intéressent les artistes des domaines les plus divers de l‘art de ce siècle, tels que : Body Art, Happening, Environment, Performance, Installations, Nouvelles Technologies...
Ces formes d‘art résistent à la vieille division des beaux-arts en arts plastiques d‘une part et arts du temps d‘autre part. Nos modèles de temps et d‘espace ne sont plus ceux du dix-neuvième siècle. Tous les éléments qui aident à briser les frontières canoniques entre les arts, comme, par exemple, le mouvement dans les arts plastiques ou l‘espace dans la musique, deviennent importants dès le commencement de ce siècle. On peut dire que, dans le courant de notre siècle, la musique a redécouvert l‘espace; la peinture et la sculpture ont retrouvé le temps .
La voix, avec sa double nature temporelle et spatiale, est un de ces phénomènes situés entre les catégories classiques. Ainsi son apparition dans le développement des arts plastiques est exemplaire. Mais les oeuvres sont dispersées dans les catégories les plus diverses dans le contexte ”son dans les arts plastiques“. Ce sont les responsables de certaines expositions ayant trait à ce thème, qui, en réunissant les oeuvres les plus importantes du domaine des sculptures sonores - dans le sens le plus large du terme - , ont initié la recherche dans cette catégorie encore sous-estimée.
La catégorisation des oeuvres présentées dans ces expositions montre l‘extrème richesse combinatoire du phénomène acoustique. Tantôt c‘est la musique qui donne le ton, tantôt la peinture, tantôt les moyens techniques de production et reproduction du son. En ce qui concerne la voix dans les arts plastiques, je n‘ai connaissance que d‘une petite exposition à Bad Rappenau en 1989. ll y a donc là la possibilité de faire une belle
exposition!Dans les arts plastiques, les questions fondamentales sont celles de la matière, du modelage et du mouvement. Ainsi je range les oeuvres dont je vais vous parler autour de cinq thèmes élémentaires :
- Le cri
- La résonnance
- La plasticité
- Le support
- Le lieu
Le cri
Ce sont les Futuristes qui ont, de la manière la plus marquante, introduit le son dans les arts plastiques. Ils n‘ont pas seulement parlé de „la peinture du son, des bruits, des odeurs“ (Carlo Carrá), ils ont effectivement créé des objets sonores (Intonarumori : Rombatori, Crepitatori, Scoppiatori, Stropicciatori, Gorgogliatori, Ululatori, Scrosciatori et Sibillatori) et développé une théorie des bruits. Dans son manifeste de 1913, L‘Arte dei rumori, Russolo éleva le bruit au rang de matériau musical :
„Nous nous plaisons à nous imaginer orchestrer le bruit des stores, des magasins, des portes qui claquent, la rumeur et le piétinement de la foule, tous les bruits des gares, des filatures, des imprimeries, des centrales électriques et des métros. Nous voulons agencer tous ces bruits si différents et les combiner harmoniquement.“
Ce sont donc les sons de la matière qui intéressent les Futuristes. Dans le manifeste, Russolo définit six familles sonores et la voix humaine n‘arrive que dans la dernière. De plus elle doit la partager avec les animaux. Les sons décrits sont tous en deçà du langage: des appels, des cris, des gémissements, des hurlements, des braillements, des éclats de rire, des râles, des sanglots. La voix apparaît d‘abord en tant qu‘expression corporelle pure, pas comme support de sens. Le cri est l‘expression sonore la plus fondamentale de cette matière / corps, de la carcasse humaine. Dans le cri, c‘est le corps qui répond au lieu du moi. C‘est la chair ébranlée par les émotions. Le fameux Cri d‘Edward Munch (1893) est une ouverture pour toute une série de cris qui vont suivre.
A travers l‘expressionisme et le fauvisme, avec leur valorisation de la vitalité et de l‘inconscient : „... peindre avec son coeur et ses reins, sans se préoccuper du style...“ (Vlaminck), et à travers leur successeur, l‘action painting, la motricité de l‘artiste gagne de l‘importance pour devenir finalement elle-même matière d‘expression dans le Body Art. Le corps est considéré comme un ensemble de différentes matières dont il faut explorer toutes les qualités et possibilités d‘usage (mouvements inattendus, positions dans l‘éspace, sexualité, vulnérabilité...) et, entre autres, les qualités sonores.
Dans l‘action Sound Barrier de Vito Acconci et Jay Jaroslav (1971), nous retrouvons le cri. Cette fois-ci, un cri crié. Jay crie le plus fort possible tandis que Vito essaie de fermer cette bouche criante. Acconci pense que le public s‘identifie avec celui qui veut arrêter ce cri énervant. En 1968 Bruce Naumann propose une autre méthode pour ne pas avoir à écouter le cri : Concrete Tape Recorder Piece . Ici le cri est enregistré sur une bande puis empaqueté et finalement coulé dans un bloc de béton. Quand on branche la prise de courant, le cri se répète sans fin sur la bande. Des traces de cette oeuvre se retrouvent dans le travail exposé lors de la Dokumenta IX, à Kassel, en 1992: Anthro/Socio 1991. Trois moniteurs entourent le spectateur qui entend deux phrases criées par quelqu‘un qui semble être torturé: „Help me, hurt me, Sociology“ - „Feed me, eat me, Anthropology“ - Même si le cri n‘est plus étouffé, même s‘il est très présent, même s‘il est répété par les médias, ce cri ne semble pas être entendu non plus.
D‘autres amplifications de cri se trouvent dans l‘oeuvre de Wolf Vostell: dans un des containers de son train roulant (Train Fluxus 1981), vingt cris différents attaquent le visiteur dès qu‘il appuie sur l‘un des boutons. Dans sa locomotive renversée (La Tortue 1987, Mythos Berlin, Anhalter Bahnhof), des cris - „... ce sont les cris des victimes du passé allemand ...“ sortent de la chaudière.
Le 15 novembre 1980, Albert Mayr fait son Aktion DEMOSTHENES : au milieu du bruit des voitures à Hannover, il raconte l‘histoire de Démosthène. Il ne la crie pas; mais le contexte accentue la lutte physique de la voix contre la ville.
Je viens de décrire ces variations du cri pour souligner la dynamique expressive de la voix, son mouvement agressif et sa direction vers l‘extérieur. C‘est une voix pleine de force, de corporalitée, de vitalité, d‘inconscient : autant d‘éléments chers à l‘expressionnisme. L‘autre pôle de la voix est sa capacité à résonner. Il est plus proche de l‘impressionnisme.
La voix comme résonnance
Cette entrée en scène du son est moins pompeuse que celle du Futurisme, elle est beaucoup plus clandestine. Elle nous fait comprendre un autre aspect de la voix dans les arts plastiques. Suivons la réflexion de Jean Paris dans son livre L‘Espace et le Regard:
„La neige (...) impose au paysage le principe même de l‘impressionnisme. Ses flocons, brouillant autant la vue que les touches divisées, unifient l‘espace par la vibration (...), le papillotement, la palpitation de l‘air même ... Si la neige n‘y introduisait encore que le pointillé, la vapeur en affine la texture jusqu‘à l‘indiscernable ... Si les formes résultaient de la séparation, le regard, en les dissolvant, refait à I‘envers le chemin de l‘évolution : il nous réintègre dans cette vie vaste et diffuse des premiers temps.“
Dans cette analyse, l‘espace des impressionistes nous est décrit comme vibrant et résonnant. Et les mots qu‘utilise Jean Paris sont proches de ceux, avec lesquels Eugène Minkowski décrit le monde de l‘auditif. Minkowski, qui - comme Erwin Straus dans son livre Vom Sinn der Sinne - a vu dans chaque sens une „concrètion d‘un phénomène vital essentiel“, a attribué à l‘ouie le phénomène du retentissement :
„Ce retentissement est ainsi bien plus primitif que l‘opposition entre le moi et le monde ... Il est commun aux deux et, là où pareille opposition est faite, les unit toujours dans le même mouvement. Une mélodie, une symphonie, voire même un seul son, surtout quand il est grave et profond, se prolongent en nous, pénètrent jusqu‘au fond de notre être, résonnent, retentissent réellement en nous, comme le fait également un mouvement de sympathie.“
Le son et la voix n‘ont pas seulement une capacité à faire vibrer l‘atmosphère, ils peuvent résonner aussi dans les matières et ainsi dans d‘autres corps. Si ce sont les cordes vocales d‘un autre être qui sont mises en vibration, un son vient générer un autre son comme quand, pédale appuyée, on provoque en ne frappant qu‘une seule touche, toute une harmonie. De la même manière, un son peut prendre place dans mon corps. Il me touche, il m‘émeut et me met en rapport avec quelque chose. Les vibrations créent un lien en deçà de tout langage. Le mystique Jakob Böhme a utilisé un mot touchant, dans le sens propre du terme, pour exprimer cette liaison fragile entre les choses: „Tingiert-Werden“. Cette capacité à se mettre en rapport, à travers la voix, avec différentes couches de la nature, a été utilisée plusieurs fois par Joseph Beuys. Il a prononcé par exemple dans certaines de ses actions un son étrange, ö-ö:
„Et ö-ö est simplement le langage sans contenu. Seulement la fréquence porteuse. Le langage sans implantation d‘un sens.“
„C‘est un son archaique... l‘onde transmet un son, qu‘on trouve habituellement dans le règne animal ... Les sons, que je fais sont consciemment choisis du monde des animaux. J‘y vois une possibilité d‘entrer en communication avec d‘autres formes d‘existence, en deçà de l‘existence humaine.“
„C‘est l‘essai de jeter un pont entre deux règnes.“
La plasticité de la voix
„Mon intention est surtout d‘exprimer le lien entre les phénomènes acoustiques et plastiques. Ecouter est étroitement lié avec l‘acte de percevoir l‘art plastique. Le processus de la perception visuelle est isolé et s‘incline donc vers une considération intellectuelle des choses. Je pourrais presque dire: sans écouter, on ne peut faire aucune plastique.“
On pourrait facilement continuer avec d‘autres citations soulignant l‘importance des phénomènes acoustiques dans l‘oeuvre de Beuys, mais je vais terminer l‘excursion dans son oeuvre par quelques commentaires sur un dessin qui me semble fondamental pour notre sujet : le dessin date de 1956 et porte le titre Sculpteur, modelant. On voit le sculpteur vis à vis d‘un piédestal avec un grand élément dessus. Avec ses mains, le sculpteur travaille dans le noyau de cet élément, et ce noyau est nourri par une ligne qui vient de la bouche du sculpteur. C‘est comme si la matière tombait de la bouche dans les mains du sculpteur. Pendant la Dokumenta VI en 1977, Beuys a donné une conférence intitulée „L‘entrée dans un être vivant“, dans laquelle il parle de la plasticité dans l‘acte de penser en disant que la pensée est une mise en forme de quelque chose à travers le corps, une information. Et il décrit minutieusement l‘acte physique de la mise en forme d‘un mot:
„Il (l‘homme) doit, par la force qui est derrière la corporalité, mouvoir aussi la corporalité de son environnement, avec le flot d‘air qui est mû à travers la trachée artère, qui est pressé à travers le larynx, et qui entre dans d‘autres organes du langage (la langue, le palais, les dents, l‘espace de la bouche). Il doit ‚sculpturer‘ quelque chose à l‘intérieur de ce flot d‘air. Le récepteur doit ‚exformer‘ cette sculpture.“
Si je ne me trompe pas, Roland Barthes décrit le même phénomène dans son
texte sur „Le grain de la voix“:„... c‘est le volume de la voix chantante et disante, l‘espace où les significations germent du dedans de la langue et dans sa matérialité même ... c‘est cette pointe (ou le fonds) de la production où la mélodie travaille vraiment la langue.“
La conception de l‘acte de parler en tant que dynamisme modelant se trouve aussi dans des textes de Jakob Böhme, le Philosophus Teutonicus, dans des écrits et des dessins de Rudolf Steiner , ainsi que dans des photos de Johanna Zinke. Mais la matérialisation de ces idées dans des sculptures et la conception de l‘acte de parler comme sculpture est unique chez Beuys:
„j‘étais conscient que l‘acte de parler lui-même est sculpture ... Je considère aussi la pensée humaine comme la première sculpture, qui sort de l‘homme. Qu‘il peut regarder sa pensée comme un artiste regarde son oeuvre, n‘est-ce pas? Qu‘il regarde son acte de penser.“
Quand on voit le développement du mot „Iphigenie“ à travers des coupes schématisées des cavités bucco-laryngées - Titus/Iphigenie en 1969 - ( avec un „n“ très étrange), on se souvient de Schwitters et de sa fameuse Ursonate inspirée par Raoul Haussmann dans les années vingt et mise en forme définitive en 1932. Même si l‘aspect de la déconstruction du sens et des mots, qu‘on souligne toujours, est sans doute important, il me semble possible de voir dans la mimique de Schwitters une joie sculpturale.
Le support matériel de la voix
Le quatrième aspect de la voix dans les arts plastiques que je veux souligner pose la question du support de la voix. L‘acte de parler s‘incarne dans notre organisme. Ainsi la voix témoigne de la présence d‘un être. Je crie, donc je suis. Ce côté, nous l‘avons vu, a été un thème surtout pour les artistes du Body Art. On pourrait dire que dans les années où la reproduction de la voix devient facilement possible, certains artistes accentuent encore une fois l‘authenticité, l‘individualité et la présence du corps propre.
A première vue, la Singing Sculpture de Gilbert et George, est une mise en valeur de la présence des corps. Ces deux sculptures, qui se meuvent sur la table et chantent, attirent l‘attention sur l‘action. Mais les voix ne sont pas seulement celles de Gilbert et George, ce sont aussi celles sortant du phonographe. Au commencement (1969), ce n‘était même que les voix reproduites sans celles des sculpteurs .Donc il y a une sorte de clivage entre des voix réelles (celles de Gilbert et George) et les voix reproduites (celles de Hardy et Hudson) qui chantent le même texte: „Underneath the arches“ de Flanagan et Allen (1932). Le texte est assimilé par les sculptures/ sculpteurs. Les „pierres“ de la sculpture sont mues et émues par le chant techniquement reproduit. Quel étrange renversement de l‘histoire d‘Orphée!
La grande quantité de techniques pour enregistrer, traiter, reproduire et diffuser les voix a généré un grand nombre de types d‘oeuvres dont nous donnons quelques exemples:
- Le Robot K 456 (1964) de Nam June Paik a transporté le discours d‘intronisation en 1961 de John F. Kennedy dans les rues.
- Pour Tape Bow Violin, 1977, la voix est enregistrée sur bande magnétique.Celle-ci est utilisée en tant que crin d‘un archet de violon. Cet archet, frotté sur les têtes magnétiques du violon préparé par Laurie Anderson, transforme la phrase enregistrée en plusieurs variations.
- La série de „Radio-sculptures“ de Jean Tinguely (1962) joue avec le hasard des ondes et offre à nos oreilles des fragments de voix qui sont dans l‘air dans le moment de notre rencontre avec les oeuvres.
- Dans La Banque, 1976, de Edward Kienholz les enregistrements de la Götterdämmerung de Wagner („Hoi ho! Hoi ho ho ho!“) ajoutent à l‘aspect socio-politique des radios allemandes de la deuxième guerre mondiale la question du rôle de l‘art dans la politique.
- Dans Handphone Table, 1978, Laurie Anderson utilise le fait que nous pouvons écouter par les os. Les deux songs que l‘on peut écouter à cette table sont: „Now You in Me Without a Body Move“ et à I‘autre bout de la table: „And I Remember You in My Bones.“
- L‘Ame du Câble de Walter Siegfried (1991) est un câble géant, dans lequel sont „capturées“ les voix d‘environ 150 heures de conversations téléphoniques ... L‘oeuvre a été installée à l‘endroit même où les enregistrements ont véritablement emprunté le réseau de téléphone public tout proche.
- Les enregistrements qui accompagnent l‘oeuvre minutieuse de Roman Opalka OPALKA 1965/1- oo, Rencontre par la séparation, sont un témoignage extraordinaire du temps vécu: il récite tous les chiffres qu‘il peint successivement depuis 1965 et qui deviennent de moins en moins visibles (par le mêlange calculé de blanc que l‘artiste prépare).
- Stephan von Huene invite le visiteur à parler avec ses Text Tone IV et V (1982-83). Ils apparaissent comme des feuilles blanches qui enregistrent ce qui se passe devant eux. Après un processus de traitement (accentuation, rythme, mélodie), ils reproduisent pour le public ce que celui-ci vient de dire.
- Avec sa Participation TV (première réalisation 1965), Nam June Paik donne la chance aux spectateurs de créer avec leur voix des formes se développant sur un écran de télévision.
- Sound track to Reality (Bombay 1991), Local voices - local noises (Potsdam 1993) et Hörspiel-Spaziergang (München 1994) de Walter Siegfried sont des collages de voix, de sons et de bruits que le public écoute, au moyen d‘un balladeur au cours d‘une promenade sur les lieux mêmes où ces sons furent enregistrés.
- Dark Dogs, American Dreams, de Laurie Anderson, présenté à la Galerie Holly Solomon en 1980, montrait des portraits qui racontaient leurs rêves. Mais on ne pouvait pas seulement écouter ces rêves, on pouvait les lire aussi, puisque les textes étaient joints aux photos. Alors on découvrait avoir fait des liaisons „fausses“, avoir associé les voix aux images. De plus, on se rendait compte que tous ces rêves étaient des rêves de Laurie elle-même.
- Dans United States, Part II, la voix de Laurie Anderson est transformée à un degré tel que Craig Owens parle d‘une „sorte de transvestisme vocal électronique“. Une voix transformée prend place dans le corps qui a produit la première génération de cette voix. „Ma bouche se meut, mais je ne comprends pas ce que je dis.“
- Le groupe TRANSIT de Innsbruck en Autriche réalise des projets artistiques dans l‘espace électronique. Messages to Belgrad transmettait 32 messages artistiques par Radio B92 en mai 1994.
Une chose est commune à ces diverses oeuvres que nous venons d‘énumérer: elles travaillent toutes avec des voix déléguées à un support, qui n‘est plus le corps humain. Ce qui ouvre notre dernière page : la question du lieu de la voix.
Jusqu‘au milieu du dix-neuvième siècle, la manifestation de la voix est signe de la présence d‘un être. Depuis, nos voix sont partout. Avec les nouvelles technologies, l‘expression vocale peut être réalisée indépendamment de la présence d‘une personne. La voix se détache donc de son premier corps et atteint, avec l‘ère électronique, une flexibilité inimaginable auparavant.
Si l‘on voulait autrefois communiquer des idées, des pensées, des paroles sans la présence immédiate d‘une personne, il fallait toujours les inscrire sur des supports à grand renfort de moyens, et lorsqu‘on voulait les transporter il fallait envoyer aussi ces supports. Avec l‘ère des ondes, des satellites et des câbles, les idées voyagent presque sans support et très vite. Mais puisque nous parlons de la voix, il faut souligner que ce ne sont pas seulement les idées qui voyagent, mais aussi les émotions : les cris des blessés, les soupirs des malades et le silence des affamés. Ils sont présents dans nos appartements et ils exigent un changement radical de pensé. „La psychologie du téléphone, c‘est la psychologie de la surface totale de la terre, de la globalisation. Tout ce qui se passe sur la terre se passe aussi en moi.“, dit Derrick de Kerckhove dans un Coup de téléphone fin 1990, et il ajoute que c‘est une grande tâche d‘acquérir cette nouvelle conscience.
L‘émission mondiale de Wrap Around the World ou Wrap the World Around de Nam June Paik, le 11 septembre 1988, donne avec ce titre un côté doux au „network“. Paik dit qu‘il s‘agit d‘empaqueter doucement les cinq mers et les six continents avec un „bajagi“ (un lange).
Par contre, il me semble que chez Laurie Anderson, il y a une grande ambiguité entre tendresse et guerre. Le câble est un contact à la fois agréable et dangereux:
„So hold me Mom, in your long arms,
in your automatic arms, in your electronic arms.
So hold me Mom, in your long arms,
your petrochemical arms,
your military arms, your electronic arms.“
Coda:
Lisez s‘il vous plaît le texte au verso de cette carte postale de Robert Filliou et suivez son conseil:
„This photo was taken in Berlin on 2nd of September 1973, at noon. I wonder where you will be when you look at it. Please say it aloud. i. e. please say aloud in a clear normal voice what place and time you‘ re in.“
Le choeur des participants au colloque:
Montp Montpellier llier le le 27
Mont Montpell llier le le 27 janvier 1995
Mont Montpellier ellier le le 27
Walter SIEGFRIED
Ecole des Beaux-Arts de München, Bavière